DANGER : leçon de paranoïa où comment l’expatriation dilate la réalité


Vous savez, ou pas, qu’en ce moment le pays, la ville où je vis, sont DANGEREUX.

Tindindinnnnnnnnnnnnnnnnnnn.

Pour celles et ceux qui n’auraient qu’une idée aussi précise que les informations des JT de ce dont je peux bien parler : depuis quelques années, les Somali, ou plus exactement les al shebaab, c’est-à-dire les jeunes en arabe, ont magistralement renouveler l’art injustement oublié de la piraterie (mais sans les dreadlocks de Johnny D. ni l’option libertaire du XVIIème).

Depuis quelques mois, les mêmes ont décidé que les mers ne leur suffisaient plus et que les Blancs, ces supposées cornes d’abondance obscènement riches, feraient une bonne monnaie d’échange (ce en quoi ils se sont largement plantés, mais en même temps personne de sensé n’a jamais pensé que la capacité d’analyse et d’anticipation est la marque de fabrique des shebaab). La côte du Kenya, avec ses plages paradisiaques et sa culture africo-arabo-indienne aux multiples charmes architecturaux, musicaux, alimentaires, attire depuis longtemps les touristes : Lamu et son charme pittoresque patati patata.

(Non, ma maison ne ressemble pas à ça). Intérieur à Lamu, réalisé par l'architecte Claudio Mondola.

Si vous êtes blindé de thune, vous pouvez par exemple séjourner dans cet hôtel, le Majilis Lamu resort...

Faut avouer que ça n'est pas moche, Lamu...

Ahhhhhhhhhhh les côtes de l'océan indien à Lamu: ses palmiers, son eau turquoise, son paludisme, son tourisme sexuel, ses pirates...

Sauf que depuis septembre, un certain nombre de touristes, le plus souvent vieux, ont été enlevés. Et, parfois, tués. Comme, lorsqu’on est intelligent, on ne manque jamais une occasion de tenter de se faire de la maille, les drôles ont même une fois demandé de la thune pour rendre le corps (c’est-y-pas mignon ça ???)

Ajoutons à cela la

criiiiiiiiiiiiiiiiiiiiise

humanitaire. Et non, je ne fais pas du cynisme horribilicieux et totalement choquant. Sans entrer dans les détails parce que tout de suite ça serait moins funky et tout et tout, sachez juste que, comme un nombre certains d’autres « crises humanitaires ultra médiatiques », celle de la corne de l’Afrique et des camps de réfugiés du nord du Kenya, où les somali continuent d’affluer (continuent, parce que le camp dont vous voyez des stars pleines de bonne volonté parler en pleurant à la télé, en l’occurrence Daadab, existe depuis plus de 15 ans. Oui, quand  même) n’a RIEN d’une catastrophe « naturelle » où le problème réel serait la « famine » due à la « sécheresse », et que, depuis le temps, il faudrait peut-être se demander si l’aide ne participe pas au problème, en fait. Passons.

Reprenons, donc. Ajoutons à cela la criiiiiiiiiise humanitaire du nord du Kenya  tel que Mandera ou le camp de Daadab et leur folklore si typiquement « africain ».

Dadaab. Un camp de réfugiés quoi. Plus gros que pas mal d'autres, c'est vrai. Mais pas différent.

Notons qu’assez étrangement, quand on parle de malnutrition ou de famine, nos télés ne nous montrent jamais ça:

Eh ouiiiiiiiii. La pauvreté, en Europe, en France même, ça donne les mêmes effets qu'en Afrique.

Mais toujours ça:

Puisqu'on vous dit que la malnutrition, c'est A-FRI-CAIN. Non mais!

Or, cette crise humanitaire se corse un peu ces derniers temps puisque des « gentils », les beaux et preux HP* ont, eux aussi, été enlevés, dont les chevaliers sans peur et sans reproches de Médecins Sans Frontières.

Tout ça pose des problèmes au gouvernement kenyan : un gros trou dans les importations et les rentrées économiques, alourdi par une diminution pas vraiment légère du tourisme, principale source du PNB kenyan (les safaris, tout ça tout ça, le sourire et le charisme de Redford et la bonté de Karen Blixen magnifiée par Meryl Streep dans Out of Africa, whaouuu). Puis tout cela s’est fait sur LEUR territoire. Et puis l’an prochain, il y a les élections présidentielles (bin oui, y’a pas qu’chez nous ^^).

Alors Kibaki:

Kibaki, c'est lui: le président du Kenya depuis 2006

Kibaki, donc, a décidé, assez logiquement tout de même, de faire la guerre aux vilains al shebaab (ou shabaab). Il a conséquemment envoyé ses troupes au nord du pays, et même au sud de son voisin la Somalie. Le Kenya est donc en guerre, non contre la Somalie, plutôt contente de l’intervention kenyane, mais contre les mouvements rebelles shebaab.

Tout ça se passe au nord du Kenya, soit à plusieurs centaines de kilomètres de Nairobi, où la vie n’a pas changé d’un poil, et où la population, largement hostile aux shebaab et aux somali en général, est très contente de cet état de fait.

Sauf que, il y a quelques semaines, les vilains shebaab ont lancé, à deux reprises, des grenades en plein centre ville de Nairobi, une fois dans un bar fréquenté par la petite classe moyenne kenyane, le jour d’après à une station de bus (les dits bus sont à 99% fréquenté par des kenyans).

Et là, depuis, c’est….. N’importe nawak. L’Ambassade de France, mais aussi celle d’Angleterre et des USA, la plupart des gros trusts et…. Putain, ouais, des ONG ont imposé des mesures de couvre-feu (genre c’est pas bien de sortir après 19h30), préconisant de ne plus aller faire ses courses aux supermarchés, etc etc etc.

Hum.

Je vous vois déjà, là au fond et puis aussi devant, dire que c’est normal, encore heureux et que c’est moi (et puis aussi mon barbu, et mes potes ici aussi) qui ne suis qu’une inconsciente and so so…

Bon.

Alors, je pourrais jouer la vieille HP burnée, et expliquer que c’est un peu bizarre d’imposer des règles de sécurité plus strictes dans une ville en paix et avec un degré de corruption et de violence moins lourd que dans nombre de cités de pays « développés » que je ne les ai vues dans des coins VRAIMENT en guerre (genre où tu vois plus de kalach dans la journée que de mégots sur un trottoir à la sortie d’une boîte de nuit parisienne ; genre où tu as autant les foies quand tu rencontres un policier du pouvoir central que lorsque tu croises un milicien de 11 ans perché à 10 miles), mais ça ferait un peu too much (même si c’est vrai, croix de bois croix de fer si j’mens j’vais en enfer) et ça vous convaincrait pas plus.

Par contre….

Rappelez-vous….

1986 à Paris…. 7 attentats. Celui de la Rue de Rennes. 1995. RER B (ou C ??) à Saint-Michel. Pas une ou deux grenades, là. Des bombes. Pas 2 morts, là. Des dizaines. Comme à Madrid en 2004 (191 morts !), à Londres en 2005 (55 morts, 700 blessés).

Y’a-t-il eu des « couvre-feu » ? Y’a-t-il eu désertion des quidams dans les rues et les supermarchés ?

Ah bin non.

…. … … …

Ce qui est d’ailleurs logique, même en cas, comme cité ci-dessus, de VRAIES menaces terroristes. Pourquoi ? Parce que le propre du terrorisme, c’est justement de frapper, en apparence du moins, AU HASARD, de manière à ce que les gens ne se sentent plus en sécurité NULLE PART. Et si on s’arrête de vivre, on a déjà perdu. Et ce n’est pas comme si cela servait à quelque chose…

Donc, deux solutions : ouais, bien sûr, tu peux rester cloîtré chez toi et ne plus vivre que de boîtes de conserve puis de ragoûts de bottin, mais là, c’est juste… comment dire. Stupide ? Ouais, stupide.

L’autre solution, c’est de continuer de vivre –presque- exactement comme avant.

Là, l’ampleur des consignes données par « les représentants des occidentaux » est juste… Aberrante ? Grand-guignolesque ?

En fait, comme je suis une grosse tordue et que je traîne mes guêtres inutiles parmi les gens et les endroits bizarres de la planète (la jungle congolaise, les ghettos du 94, la Corrèze, les quartiers à putes de Kinshasa, la Corse etc.), je me dis, et ça ne m’aide guère à me rapprocher de « ma » communauté ici, que ce n’est, encore une fois, que l’illustration de la dilatation des représentations des communautés expatriées.

Keskece de koi elle parle la donzelle ?

Bin, de ça : quand tu es blanc expatrié en Afrique, tu :

1)      Adooooooooooooooores l’Afrique mais trouves systématiquement que TOUT est « moins » que « chez toi ». Moins efficace, moins organisé, plus « n’importe quoi ». Par exemple, ICI, « les démarches administratives sont parfois fastidieuses » (parce que tout le monde sait, qu’en France, Belgique ou aux States, l’administration c’est übber funky winky) ; « il faut 2 JOURS et 4 magasins différents d’affilée pour réussir à trouver un filtre à aspirateur de rechange » (y’a-t-il besoin de faire un commentaire là-dessus ?….)

2)      Ton pays c’est super de la balle-qui-tue, tu idéalises à mort, et voilà. Tu n’y as pas mis les pieds depuis 15 ans autrement qu’à Noël et pour farnienter ? No soucy, tu ES et RESTERAS A VIE français/hollandais/italien, donc TU SAIS que « chez toi », c’est MIEUX : ainsi, cela donne du relief carrément surréaliste au point 1 sus-mentionné.

Par exemple : tu as des enfants scolarisés. Ici à Nairobi, (et vues nos expériences familiales précédentes, je peux certifier que ce n’est pas toujours comme ça, loin de là), l’école française, outre le fait d’avoir une équipe pédagogique fantastique, offre des services trop de la balle : d’abord, les horaires ne sont pas absolument incompatibles avec le fait que l’élève ait des parents qui travaillent ou qui ont tout simplement une vie à coté de leur progéniture (à Kinshasa par exemple, l’école commençait tous les jours à 7h et ne finissait jamais après 13h. Oui. Songez aux implications logistiques familiales et sociales pour les mômes. Du bonheur) ; ensuite, pur la première fois hors de France (en ce qui nous concerne), l’école propose une cantine (et un service de ramassage scolaire aussi. Et une cinquantaine d’activités périscolaires pour tous les goûts et tous les âges, aussi. Genre c’est quand même de la balle moi je dis.)

Tu mets donc ton/tes (en général, les expatriés ont toujours plusieurs mômes, 3 en moyenne. Je n’ai toujours pas déterminé si c’était le facteur thune, droite réac catho ultra libérale, le fait que la plupart des femmes soient « au foyer » ou une forme de mimétisme local qui est à l’origine de cet état de fait) gamins à la cantine. Et après, tu te plains que « c’est horriblement cher et d’un niveau absolument déplorable. Payer ce prix pour un quignon de pain est hors de question, j’ai enlevé mes fils dès que j’ai pu ».

Alors…. Le prix exorbitant est …. Roulement de tambour de 440 shillings kenyans par repas en primaire, un peu moins en maternel et un peu plus en secondaire. Soit…. 3,40 euros. Hum. Oui, c’est bien le prix moyen proposé de restauration scolaire en France, sauf si tu es un peu pauvre et que tu habites dans une commune avec politique sociale !

Quant au « quignon de pain », euh…. Je ne vais même pas faire dans le subjectif ni imposer les délires dithyrambiques de mon gnome personnel (qui a  supplié de rester à la cantine tous les jours. Une première), je vais juste mettre, au hasard, la liste de menus pour une quinzaine hein. Le quignon de pain a super bon dos moi je trouve.

Ouais, bin moi je n'ai jamais eu de tels menus même en restau d'entreprise. J'dis ça j'dis rien...

Tout ça pour dire que le risque sécuritaire à Nairobi, c’est comme le prix exorbitant de la cantine à l’école française : une déformation de la réalité (pour le moment du moins hein, je ne sais ce qu’il en sera dans le futur) par le biais des lentilles de l’expatriation.

Poil au fion.

7 Réponses to “DANGER : leçon de paranoïa où comment l’expatriation dilate la réalité”

  1. […] De doctes conseilleurs diront d’ici comment se comporter là bas. sur place comment vit-on avec la menace ? En situation, les réactions et les attitudes oscillent plus ou moins légitimement entre paranoïa, prudence et insouciance. Celle de cette blogueuse expatriée au Kenya tranche par son ton iconoclaste. […]

  2. […] De doctes conseilleurs diront d’ici comment se comporter là bas. sur place comment vit-on avec la menace ? En situation, les réactions et les attitudes oscillent plus ou moins légitimement entre paranoïa, prudence et insouciance. Celle de cette blogueuse expatriée au Kenya tranche par son ton iconoclaste. […]
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  3. Hi We simply love your striking editorial thank you and please carry on

  4. lazarille Says:

    je trouve vos considérations TRES intéressantes. Et j’apprécie l’effort que vous faites de ne pas, trop, vous étendre.

    Ceci dit : je trouve la cantine horriblement chère aussi. Mais en fait c’est les prix, j’admets.
    C’est trés bien vu ce que vous dites de la mentalité expat’ – c’est vrai tout le temps en fait, il y a un dicton « l’herbe est plus verte dans pré du voisin »
    Juste une remarque …ça s’applique aussi à la recherche d’emploi. 🙂

  5. This is a really good read for me, Must admit that you are one of the best bloggers I have read. Thanks for posting this informative article.

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